MUSEE DES BEAUX-ARTS/Bruxelles
Cercle Wrésinski – 4 février 2009
Bernard Foccroule et
Dominique Rammaert
Texte de référence du Père
Joseph
Conférence de Intervention du père Joseph Wresinski lors d’une
soirée-débat au Centre Georges Pompidou à Paris, le 16 mars 1987.
" L’ATD Quart Monde, depuis trente ans, affirme le droit de la
population la plus pauvre de valoriser son identité pour pouvoir prendre en main
son destin. Ce droit suppose les moyens de l’expression culturelle collective,
les moyens de la vie associative (…) Cet accompagnement requiert
l’investissement d’hommes et de femmes passionnés d’épouser la réalité sociale
et culturelle d’une population et de s’engager avec elle.
Développer une
culture par une autre, nous en sommes tous d’accord, est une affaire de
réciprocité. Les familles nous prendront au sérieux, si nous-mêmes les prenons
d’abord au sérieux. C’est ce qu’a voulu faire le Mouvement en créant ses pivots
culturels, ses bibliothèques de rue, ses universités populaires dans les zones
de grande pauvreté. Ceux-ci témoignent de l’attente des populations les plus
pauvres, de leur soif d’apprendre et de partager. Elles témoignent aussi de tout
ce que ces populations peuvent nous apporter elles-mêmes pour leur libération.
(…) Nous pourrions débattre de la valeur artistique de ces créations et, à juste
titre, défendre cette valeur artistique en tant que telle. Pour ma part, je
voudrais surtout témoigner de la force du message qui permet de telles
expressions. Aucun animateur, aucun volontaire du Mouvement ATD Quart Monde,
personne n’aurait pu susciter une telle créativité, si la liberté n’était pas
inscrite, déjà, au coeur de ces populations, si leur création n’était pas, déjà,
un cri de libération lancé comme défi au désespoir.
La misère détruit l’homme
mais elle lui apprend aussi qu’il a l’obligation de la détruire. La misère nous
rappelle, à nous aussi, qu’il est de notre devoir de nous joindre à cette
aventure, au nom des Droits de l’Homme. Car bâtir avec les plus pauvres la
liberté est une aventure. Et libérer les intelligences, l’imagination et la
créativité des familles dont nous avons tronqué la culture est aussi un combat
pour les Droits de l’Homme.
Sans nous, rien ne sera possible. La libération
des familles est entre leurs mains et les nôtres, dans la mesure où ces mains se
joignent. Ce combat est déjà engagé ; les victoires pour les Droits de l’Homme
de demain se gagnent, déjà, aujourd’hui. "
Bernard Foccroule est de
ceux qui ont mené le combat en faveur des plus pauvres et qui ont osé se poser
des questions sur le sens de la culture. Il a réalisé de belles expériences à la
Monnaie avec les familles du Quart Monde, notamment en collaboration avec
Dominique Rammaert, chef d’Orchestre et allié
d’ATD
Bernard Foccroule commence par évoquer quelques
expériences :
celle d’un chorégraphe Thierry Thieu Niang qui aidait des prisonniers à
Marseille à monter un film. Cette rencontre lui a permis de développer un
nouveau langage visuel dans la mise en scène de la Maison des Morts de Janacek.
Le pianiste argentin Estrella qui avait joué Bach pour des indiens dont il
défendait les droits, ce qui avait permis un dialogue extraordinaire.
L’Orchestre symphonique de Londres qui s’est ouvert aux enfants des
quartiers défavorisés
Toutes ces rencontres d’artistes avec des
personnes plus fragilisées sont toujours très enrichissantes car leur fragilité
renforce leur humanité. Nous entrons dans une époque où de telles rencontres
auront une importance grandissante. La place de l’artiste va se
transformer.
Bernard Foccroule parle ensuite de l’aventure extraordinaire
qu’il a eue avec Dominique Rammaert qui voulait amener un groupe d’ATD voir
Wozzeck d’Alban Berg. A priori, c’était étonnant car c’est un opéra difficile.
Mais l’histoire qu’il raconte concerne directement le quart monde. Ce fut le
début d’une collaboration très étroite entre la Monnaie et ATD.
Dominique
Rammaert raconte comme il a mené un " atelier chorale " à la Maison des
savoirs. " Pour les plus pauvres, il est important d’être présent là où le
monde se fait. Aussi à l’opéra et dans les salles de concert. Il est important
d’être reconnu par les professionnels et pouvoir débattre d’une valeur
artistique, comme le disait le Père Joseph. Pour les " Ambassadeurs de l’ombre,
j’avais écrit un scénario assez court. C’était l’histoire d’une famille qui
contenait tous les éléments de la famille sous-prolétaire : travail sporadique,
expulsions, justice, problèmes des enfants etc. Les textes ont été construits
avec les familles. Nous avons présenté la pièce dans le cadre de Bruxelles 2000,
capitale européenne de la culture. "
Bernard Foccroule évoque ensuite
le Rapport général sur la Pauvreté qui fut un événement exceptionnel. C’est la
première fois qu’un rapport sur la pauvreté mettait la question de la culture au
centre. La dimension culturelle de l’exclusion est aussi mutilante que la
dimension économique.
Quelques souvenirs marquants :
L’utilisation du chant à la Monnaie dans le cadre d’une campagne
d’alphabétisation : un moyen très simple et très efficace
Des réalisations en hôpital avec des enfants malades ainsi que dans des
hôpitaux psychiatriques
La réalisation d’un concert avec 600 enfants dans les quartiers Nord de
Marseille.
Il se demande pourquoi en Belgique l’enseignement ne
reconnaît pas la dimension culturelle. Elle devrait être au cœur et non à la
marge. Tout le monde en profiterait. C’est une évidence qui se confronte à des
murs d’incompréhension.
Il ne faut pas croire, cependant que tout est facile.
Trois difficultés se présentent :
L’inégalité des cultures
. Nous gardons un sentiment de supériorité.
Notre culture reste celle des colonisateurs. On ne fera pas décoller l’aide au
développement si on ne prête pas attention à la dimension culturelle.
La valeur artistique des créations et des partenariats
. Le Père
Wrésinski en a parlé. La qualité est importante bien sûr. Mais si on évalue les
résultats en fonction des critères de la Monnaie ou des Beaux-Arts, on risque
d’avoir un clash car c’est autre chose.
La culture populaire n’est pas celle de l’industrie culturelle
diffusée
par les mass medias ou la radio qui sont liées à la consommation. On ne
" consomme " pas dans la culture, on participe.
En conclusion,
Bernard Foccroule insiste sur plusieurs points :
Il y a un phénomène de réciprocité. L’art et la culture sont
importants pour les démunis. Mais les démunis sont essentiels pour la vie
culturelle
Le dialogue interculturel. Nous avons la chance d’avoir dans nos
villes un potentiel multiculturel considérable. Mais nous n’avons pas encore les
outils pour le reconnaître, pour entamer ce dialogue fondé sur le respect de la
différence
Le rôle des institutions culturelles. Il ne faut pas attendre que le
monde politique dise ce qu’il faut faire. C’est le travail avec le monde
associatif qui est le plus valorisant.
La Communication. On hésite à communiquer en raison du risque de
récupération par je ne sais qui. Mais il ne faut pas se laisser impressionner.
Nous avons surtout besoin de témoignages.
Pourquoi ATD avec toute
son expérience ne réalise-t-il pas une publication qui permette aux initiatives
de laisser des traces ? Il faut aller voir les gens qui ont participé et les
interviewer. 2010 sera l’année de la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. Ce
serait l’occasion de mettre ensemble les expériences qui transforment le
culturel.
Parmi les quelques témoignages :
Marie-France Botte
estime que les directions des institutions ont l’obligation de se donner les
moyens pour de telles initiatives. Quand nous avons commencé à la Monnaie,
Bernard l’a imposé et en a été la colonne vertébrale. Il ne suffit pas de
distribuer des places. Il faut faire bouger le public.
Anne
Querinjean, du Service éducatif du Musée des Beaux-Arts évoque le programme
sésame d’Educateam. La réciprocité est essentielle. Il y a des gens qui n’osent
pas rentrer. Nous avons conçu une " valise musée " qui nous permet d’avoir des
rencontres dans les lieux de vie. Le musée ne peut pas se priver de tous ces
regards, de toutes ces émotions. La culture donne un sens à leur vie. " Je sais
que je peux comprendre " ; " je peux expliquer "
Hector faisait partie
de la chorale des Ambassadeurs de l’Ombre. Il a admiré l’intervention de Anne
mais n’a pas entendu les mots confiance et créativité. Or c’est avec la
confiance que naissent la créativité et le succès.
La " grande Yvette "
a fréquenté la Maison des savoirs raconte comment elle a du surmonter ses
peurs pour accepter de rentrer à l’Académie. Au début, c’était un calvaire. Ce
monde n’était pas le sien. Elle a étudié la sculpture et la peinture pendant 9
ans et maintenant vole de ses propres ailes.
Georges de Kerckhove dit qu’il y a plusieurs choses qui l’ont touché, notamment que la
fragilité renforce l’humanité. Il évoque diverses expériences où le contact avec
l’art a permis à des personnes de retrouver une dignité et une identité.
Paul Galand, parlementaire à la Communauté française évoque le Père
Joseph qui avait voulu un pivot culturel. " Tant que le livre restera,
disait-il, beaucoup d’autres choses pourront aller mal ".
Bernard
Foccroule: ce qui me frappe c’est que l’art à l’école ne rencontre que des
succès mitigés. Mais quand on parle avec des ministres ils sont tous d’accord
pour dire que c’est très important. Alors, pourquoi cela ne le devient-il pas ?
ATD devrait interpeller le monde politique pendant cette période électorale.
Dommage que la TV ne soit pas là ce soir !
Anne Degrand-Guillaud,
fonctionnaire à la Commission européenne qui va mettre en place l’année
européenne contre la pauvreté et l’exclusion en 2010 : pourquoi ne pas imaginer
une grande exposition des œuvres d’artistes de l’ombre et d’artistes
professionnels dans les 27 pays de l’Union ? Continuons à rêver : pourquoi pas,
en plus un opéra avec des artistes professionnels et non professionnels ? Et
dans le public, des sous-prolétaires avec des politiques, des ministres que je
pourrais faire venir ?
Madame Hélène de Burbure, alliée du mouvement,
témoigne. Elle avait un jour demandé à une personne quel était son rêve.
Elle voulait aller au musée ! Nous y sommes allés. C’était pour moi un
enrichissement extraordinaire. Mais nous avons dû arrêter car je n’ai plus de
voiture. Je lance un appel. Si quelqu’un peut nous aider …(a reçu 2 offres suite
à son appel)
En conclusion : une soirée très réussie, dans un cadre
porteur et où le conférencier, par son charisme et sa passion d’humanité, ne fut
pas étranger à la qualité des interventions et des témoignages.